JB
6 mois après le 12 décembre 2021 : l'avenir de la Nouvelle-Calédonie toujours aussi incertain

Le 6 janvier 2022, quelques jours après la 3ème consultation d’autodétermination, l’ancien ministre des outre-mer Sébastien Lecornu déclarait devant l’Assemblée nationale : « Nous avons aussi apporté de la visibilité sur le calendrier de la dernière consultation, donc de la fin de l’accord et de son lendemain, ce qui explique en partie le choix de la date du 12 décembre et son maintien ». Force est de constater que plus de 6 mois ont passé et l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie est toujours aussi incertain sans aucune visibilité.
Vainqueurs avec 96,50% des suffrages, le soir du 12 décembre les responsables loyalistes ont promis monts et merveilles à leur électorat : fin de l’Accord de Nouméa, retrait de la Nouvelle-Calédonie sur la liste des pays à décoloniser de l’ONU, illégitimité de la revendication indépendantiste, maintien définitif de la Nouvelle-Calédonie dans la France etc… la récente campagne des législatives a même été l’occasion pour le maire de La Foa et nouveau député calédonien de la 2nde circonscription d’affirmer sans ambiguïté qu’il fallait stopper les revendications foncières kanak :
« Il y a un million de terres qui appartiennent au domaine, 500 mille aux terres coutumières et que 300 mille terres privées seulement alors que c’est elles qui produisent de la richesse. Donc, à un moment donné, les revendications foncières, stop, on n’en peut plus ». (Interview RRB, 20 mai 2022).
Malheureusement, n’en déplaise à toutes celles et tout ceux qui pensaient faire sans les indépendantistes, plus de 6 mois après la 3ème consultation le pays est plongé dans une impasse politique qui n’offre aucune stabilité et encore moins de visibilité. Il ne fallait pourtant pas être devin pour le présager (cf tribune du 10 novembre 2021). Si le Conseil d’Etat a considéré que cette consultation était juridiquement valide, ce scrutin n’a clairement aucune légitimité politique au vu de l’abstention record enregistré (56,13%) après l’appel du FLNKS à la non-participation.
C’est, dans un langage diplomatique, le sens du projet de résolution acté par le Comité spécial de la décolonisation des Nations-Unies le 24 juin dont l’adoption définitive sera soumise à l’Assemblée générale de l’ONU en fin d’année. Les points 6 et 7 de ce projet de résolution notent, en effet, que la 3ème consultation s’est tenue « dans des circonstances difficiles, marquée par la pandémie de COVID-19 et le boycott du scrutin » et demandent « à la Puissance administrante (NDLR l’Etat français) et à toutes les parties concernées en Nouvelle-Calédonie de veiller à ce que les prochaines étapes du processus d’autodétermination se déroulent de manière pacifique, équitable, juste et transparente conformément à l’Accord de Nouméa » (projet de résolution disponible ici).
Dans deux semaines, le Forum des Iles du Pacifique, qui avait également dépêché une mission le 12 décembre dernier, présentera son rapport définitif sur la 3ème consultation. Selon nos sources, le ton serait sensiblement le même. Un énième coup dur donc pour l’axe Indopacifique du Président Macron et ses soutiens loyalistes au niveau local mais, pour certains, un « retour à la réalité » puisque les Iles du Pacifique et notamment l’arc mélanésien ont constamment soutenu le FLNKS et n’ont eu de cesse de le réaffirmer quand l’occasion se présentait. Rappelons d'ailleurs, que c'est avec les Accords de Matignon-Oudinot de 1988 que la France a repris pied dans la région car jusqu'à cette date les relations diplomatiques étaient tendues avec nos voisins compte tenu des nombreux dossiers épineux pour l'Etat (la situation des kanak en Nouvelle-Calédonie et les Évènements des années 80, les essais nucléaires en Polynésie française, l'affaire du Raimbow Warrior...)
Au niveau national, la mission d’information du Sénat présidée par François-Noël Buffet (sénateur LR) a aussi bien intégré la légitimité de façade du dernier scrutin et s’est même permis de remettre en cause le « référendum projet » voulu par Sébastien Lecornu visant à consulter les Calédoniens en juin 2023 sur un nouveau statut dans la République :
« L’idée de tenir un référendum en 2023 découle uniquement d’une déclaration du ministre des outre-mer de l’époque. Cette déclaration d’intention n’engage personne et il n’existe pas de base juridique pour l’instant à ce sujet » (François-Noël Buffet - auditions de la mission d’information le 8 juin 2022).
A l’issue de leur séjour au pays, par la voix du sénateur LR Philippe Bas, la mission insistait même sur le fait que rien ne pourra se décider en Nouvelle-Calédonie sans l’accord de toutes les parties et donc sans consensus :
« Il n’y a pas une solution unilatérale qui soit également durable. Et qui puisse assurer à la Nouvelle-Calédonie un avenir de stabilité et de développement » (NC 1ère, Avenir de la Nouvelle-Calédonie : ce que les trois sénateurs retiennent de leur mission », 28 juin 2022).
Un pouvoir de décision unilatérale acquis à Sébastien Lecornu et Emmanuel Macron durant la précédente mandature mais qui s’est perdu suite aux dernières élections législatives. Le groupe parlementaire de la majorité présidentielle « Renaissance » (auquel appartient les deux députés calédoniens) ainsi que leurs alliés n’ont plus du tout de majorité absolue à l’Assemblée nationale et comptabilisent 250 députés sur 577.
L’avenir de la Nouvelle-Calédonie demeure bel et bien imperceptible aujourd’hui. Mais il y a au moins une leçon à retenir de la tentative de passage en force de l’Etat et des loyalistes le 12 décembre dernier : rien ne peut se faire dans ce pays sans les indépendantistes. En d’autres termes, la seule solution stable et viable pour le Caillou ne peut se rechercher dans un énième statut dans la République. Il faut redéfinir le lien de tutelle qui existe entre la Nouvelle-Calédonie et la France. Le consensus tant recherché se situe nul doute dans la capacité à le transformer en un lien prenant en compte les aspirations de chacun : l’accès à la pleine souveraineté pour les indépendantistes, le maintien d’une présence française pour les loyalistes et la sauvegarde des intérêts de l’Etat dans cette partie du globe pour la France.
JB