Une fois Sonia Backes nommée secrétaire d’Etat au sein du Gouvernement d’Elisabeth Borne, les Calédoniennes et Calédoniens n’ont pas tardé à réagir. Certains, à l’instar de Thierry Santa, ont remis en question la capacité de la présidente de la province Sud à pouvoir gérer convenablement les dossiers provinciaux à 22 000 km de Nouméa, tenant compte également de la charge de travail que requièrent ses nouvelles fonctions. Mais d’aucun n’ont souligné les incompatibilités politiques que cette nomination pose en vue des discussions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie et au regard de son mandat d’élu du Congrès. Eclairage.
Critiquant la position partisane de l’Etat en faveur du NON, au lendemain du 12 décembre 2021 les indépendantistes ont signifié d’emblée la tenue de bilatérales avec l’Etat si discussion il devait y avoir. Le FLNKS considère, en effet, que le format triparti n’a plus raison d’être dès lors que l’Etat et les Loyalistes sont rassemblés sous la même bannière, celle de la majorité présidentielle. Tout compte fait, pourquoi distinguer l’Etat des non-indépendantistes puisqu’en réalité, il s’agit bien des mêmes (cf tribune du 7 juillet 2022). Et la récente nomination de Sonia Backes au Gouvernement Borne 2 ne fait que confirmer cette position. Comment imaginer qu’une discussion tripartie puissent se faire de manière paisible et constructive alors que la délégation loyaliste serait composée des deux députés calédoniens siégeant dans la majorité présidentielle et d’une secrétaire d’Etat du Gouvernement national. A minima, c’est bien la présence de la présidente de la province Sud autour de la table des discussions qui interroge. Les échos et réactions réclamant son retrait d’office pour cause d’incompatibilité deviennent de plus en plus insistants dans la classe politique calédonienne et, notamment, chez les indépendantistes.
Il est vrai qu’en Nouvelle-Calédonie le mélange des genres n’a jamais été source de réussite, bien au contraire. Il n’y a qu’à voir la porosité qui a toujours existé entre le monde économique et la caste politique locale au pouvoir ses trente dernières années. C’est l’image de l’homme d’affaire qui, en même temps, était élu à la province et au Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Deux mondes qui intégraient finalement les mêmes personnalités et qui n'ont cessé de cultiver la politique de l’immobilisme mortifère à l’origine des crises auxquelles nos institutions sont confrontées aujourd’hui : faillite budgétaire, effondrement du Régime unifié d’assurance maladie et maternité (RUAMM), crise du système de santé, incapacité à réformer etc…
Mais la récente nomination de Sonia Backes pose une toute autre question d’incompatibilité bien plus profonde car touchant à l’organisation de nos institutions démocratiques. En effet, le principe de séparation des pouvoirs qui irrigue l’architecture institutionnelle de la 5ème République et garantit un certain équilibre, exclut la possibilité pour les élus du Parlement (pouvoir législatif) d’exercer concomitamment des fonctions au sein du Gouvernement (pouvoir exécutif). La loi interdit donc à tout député de l’Assemblée nationale de garder son mandat parlementaire lorsque celui-ci est nommé à une fonction ministérielle ou de secrétaire d’Etat. A ce sujet, le site internet de l’Assemblée nationale explique que :
« tout député nommé membre du Gouvernement perd son siège au bout d’un mois et se voit alors remplacé par son suppléant. Cette incompatibilité est une application stricte du principe de séparation des pouvoirs. Elle est aussi une réaction à la IVème République, où la possibilité de cumuler les deux fonctions pouvait encourager les députés à renverser le Gouvernement ».
C’est ce même principe de séparation des pouvoirs qui fonde en Nouvelle-Calédonie l’incompatibilité entre le mandat d’élu du Congrès, considéré comme le Parlement du pays, et la fonction de ministre du Gouvernement local.
Or, la loi a semble-t-il oublié de régler le cas où un élu du Congrès serait nommé au sein du Gouvernement de la République à l’instar aujourd’hui du cas Sonia Backes. La problématique revêt un caractère encore plus important lorsque l’on sait que le Congrès de la Nouvelle-Calédonie peut être dissous, non pas par le Gouvernement local, mais bien par une décision du Gouvernement de la République auquel appartient Sonia Backes (article 97 de la loi organique du 19 mars 1999). Un détail qui compte et qui a toute son importance à l’heure où les loyalistes ne sont désormais plus majoritaires au Congrès de la Nouvelle-Calédonie et critiquent constamment la légitimité démocratique de la coalition océanienne installée au boulevard Vauban et à la rue des Artifices depuis plus d’un an maintenant.
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